mercredi 27 mai 2009

Banalités

Ma mère disait souvent qu’à Paris le beau temps ne durait pas. Elle avait souvent raison. “Trois jours ! et c’est irrespirable, puis c’est l’orage…” Cela m’évoquait mes vacances à la campagne et ces orages qui venaient tout gâcher alors que tout était si bien. Nous les voyions venir du fond du champ avec leurs nuages noirs et leurs éclairs orange sur un fond de ciel bleu de Prusse. J’aimais assez la foudre et le tonnerre. C’était après que l’ennui venait. Avec la pluie. De celles qui réjouissaient les paysans. À moins qu’elle ne tombât juste avant les moissons.
Je ne sais pas pourquoi tout cela m’évoque la guerre et la douleur. Ce que j’ai connu de la guerre était un grand bonheur. Lorsqu’on est enfant, on ne souffre pas de la faim, ni du froid. La chaleur, si, un peu, parfois.
La guerre pour moi fut la liberté. Elle m’évoque l’été. Parce que j’aime Francis Lemarque et Yves Montand, je sais que c’est à cette époque qu’elle commence : “Pourtant, c’est presque toujours/ quand revient l’été,/ qu’il faut s’en aller./ Le ciel regarde partir:/ ceux qui vont mourir:/ au pas cadencé…/ Les hommes, il en faut toujours,/ car la guerre,/ car la guerre,/ se fout des serments d’amour/ elle n’aime que l’son du tambour…”
N’est-ce pas paradoxal que je fus heureux alors qu’Odile et Claude et quelques millions d’autres étaient battus, torturés dans les camps. Qu’une grande partie du monde se déchirait…
Étrangement, cela me fait penser à l’amour. Quelques fois…
Aurais-je connu plus de femmes, en saurais-je peut-être plus ? Peut-être que non…
Parce qu’à un certain moment c’est la violence et la douleur qu’il faut donner. Jusqu’à l’épuisement. Je me souviens encore de cette nuit où j’ai bien cru te tuer tant tu exigeais de moi. C’est à peine si j’eu les moyens physiques. Mais, après !… Après que je fus redevenu homme, et non cette chose que tu avais forcée… Croyant te voir pleurer, craignant tes reproches, tu me souris. Ce sourire… Comme jamais…
Je n’ai vu ce sourire dans aucune nativité ; des plus grands maîtres aux quelques-unes, bien réelles, celles-là, auxquelles je participai…
D’autres scènes d’amour, sans doute moins brutales, soulèvent aussi pour moi un voile sur cette compagne que nous n’osons plus nommer aujourd’hui : la douleur.
Certains de mes plus beaux moments d’amour furent les plus douloureux. (Oh ! mais j’ai aussi souvenir de bonheurs d’une qualité si rare qu’ils se présentaient sans même être convoqués…)
Je ne pense pas souffrir de trop de déviances. J’ai une imagination banale qui s’étonne parfois de ce qui est vendu en librairie. Sade m’ennuie. Gilles de Rais me terrifie. Je n’aime pas les frasques de Louis XVI et son Parc aux cerfs, les revues… suédoises. Mais, force est de constater, pour paraphraser Frère Friar, dans Roméo et Juliette que :
… Deux tels souverains rivaux [le vice et la vertu] incarnent
Dans l’homme, comme pour les simples, la grâce et la violence ;

Et je ne suis pas sûr d’adopter la fin :
Et là où le pire domine,
Bien vite le chancre dévore la plante.
… car je me rappelle l’innocence de tes traits quelques secondes une fois que tu fus revenue au monde. Et la banalité de nos vies mutuelles ne m’offre, à ce jour, aucune réponse à ces noces tragiques…

mardi 19 mai 2009

Grenelles


Quand dans n’importe quelle entreprise humaine on forme une commission, c’est pour évacuer un point qui, bien que pressant, ne peut trouver une réponse adéquate ; souvent en raison des intérêts contradictoires des parties en présence. Entre le gouvernement et le peuple, cela s’appelle un Grenelle.
Cette morne plaine où les Gaulois se firent battre – pour ne pas changer – par les Romains et qui s’étendait grosso modo des Invalides à Javel, a donné son nom à une série de réunions où, en mai 68, la CGT l’emporta contre le patronat, dans la salle des Accords, au ministère du Travail, rue de Grenelle. Victoire à la Pyrrhus, car le seul résultat qui aboutît aux demandes de transformations sociales réclamées par les Travailleurs (nouvelle hiérarchie, nouvelle gouvernance – qui s’appelait : autorité – nouvelles relations entre l’entreprise et l’Etat, l’école et l’université…) sera une hausse de 35% du SMIG, soit une élévation générale des salaires de 10% et une inflation si intense que tous les avantages consentis furent « bouffés », selon l’expression de Michel Jobert, en six mois et signèrent la perte immédiate de compétitivité de l’industrie française. Il faudra attendre les lois Auroux de 1981 pour voir aboutir une ébauche d’application de ce qui était demandé à l’époque.
Il est donc piquant d’entendre tout un chacun annoncer, réclamer, exiger… à grands renforts de presse, son “Grenelle”, en guise de consultation publique sur un sujet majeur.
Qu’on s’en rende compte, pour le début de notre troisième millénaire, nous eûmes :
* le Grenelle de la santé (2001)
* le Grenelle de l'environnement (octobre 2007)
* le Grenelle de l'insertion (2007)
* le Grenelle de la formation (proposé en 2007 par M. de Villepin)
Et en 2009, 41 ans après Mai 68, une floraison exceptionnelle :
* le Grenelle de l'audiovisuel, (vœu pieu de Madame Albanel…)
* le Grenelle de la mer (Michel Garnier)
* le Grenelle des ondes (François Fillon).
Alors que nous ne sommes même pas encore au milieu de l’année…
Quand on voit les résultats pratiques desdits Grenelle ci-dessus, on est en droit de se dire qu’ils annoncent le même type de catastrophes obtenu en Mai 68 par MM. Séguy (pour la CGT) et Jacques Chirac. Si bien qu’on serait tenté de dire que « Grenelle » est le dernier euphémisme pour : “Circulez ! y a rien à voir.”
Ou : “Casse-toi ! pov’ con…”

lundi 11 mai 2009

Instabilité

“La vie n’est qu’un rêve…” me disait souvent Madame Sirakian, voyante extra lucide. La question que je ne lui posais pas alors – étant trop intéressé par mon avenir – aurait dû être : “Oui, mais le rêve de qui ?” Ce qui, je crois, se trouve dans une réplique d’un film de Cronenberg, avec Naomi Watts ; à moins que cela ne soit Nicolas Cage, ailleurs !… Quoi qu’il en soit, Hamlet avait déjà l’intuition que les rêves n’étaient pas des œuvres très individuelles ; ni particulièrement charitables.
Moi, ce qui m’inquiète c’est le destin qui m’attend une fois franchi ce pas où, apparemment, on devient si indifférent à tout ici-bas que l’on se laisse même bouffer par les asticots. (Pour autant qu’ils veuillent de nous. Car, toujours, si l’on en croit Shakespeare, certains vers se feraient une spécialité de faire des festins de roi ; ce que je ne peux leur offrir, étant donné la modestie de ma condition sociale.)
Ce qui me préoccupe donc, c’est qu’à regarder le parcours qui m’a mené de mes premiers vagissements à cette espèce de total étonnement qui caractérise la vision que j’ai de ma vie… Ce qui me préoccupe, c’est de savoir si je vais pouvoir tenir dans une seule position et dans une seule résidence pour un temps dont on nous dit qu’il risque d’être terriblement long.
Je ne vois, en effet, aucune cohérence dans ma vie qui pourrait décrire mes activités comme stables. J’ai plutôt l’impression d’avoir été une espèce de fret, chahuté d’un bord à l’autre d’un de ces grands bateaux à aubes que l’on voyait jadis sur le Léman, et qui allaient de port en ports, sans jamais y faire escale.
Ce qui veut dire qu’il faudrait que je trouve une raison de vivre, pour mourir en paix. En effet, comment terminer convenablement une chose que l’on a à peine commencée ?
En effet, une fois là-bas, malgré mon caractère casanier, dois cesser mes tergiversations du passé pour trouver cercueil à mon pied. Faute de quoi, je risque d’être condamné à une espèce de perpétuel saute tombeau. Le problème c’est qu’il ne reste plus beaucoup de tombes auxquelles je pourrais rendre visite. (Même celle de Denis, à Concise, et qui aurait mon âge - eût-il survécu à sa maladie - va disparaître, si ce n’est déjà fait…) C’est que, comme dirait Monsieur de la Palisse, plus on est à vivre sur terre, plus il y en a qui meurent !
Je ne vois qu’une issue à ce problème à la fois existentiel et démographique : C’est, juste avant de m’immobiliser dans cet ailleurs aux capacités d’accueil relatives, faire quelque action d’éclat qui me permette de reposer sur mes lauriers ; être amoureux, peut-être ?…

mardi 5 mai 2009

Saint-Honoré

Souvent, le dimanche, le médecin de famille venait déjeuner avec nous. C’était surtout l’été. Et sa visite signait, en quelque sorte, le début des grandes vacances. Nous, les enfants, avions le droit de sortir de table plus tôt, non sans en avoir demandé la permission aux parents et au “gentil” docteur. Et nous revenions pour le dessert qui était souvent un saint-honoré. Ah ! ces saint-honoré des repas dominicaux. Combien d’ailleurs ne furent-il pas le cas d’indigestions, de crise de foie nous envoyant droit au lit avec une tisane en sautant le souper…
C’est qu’à l’époque, on montait la chantilly avec du blanc d’œuf. Et le frigidaire n’ayant pas encore remplacé la glacière, le risque d’empoisonnement botulique n’était pas exclu pour peu que l’on attendît un peu de consommer ce roi des desserts. Un empoisonnement qui parfois décimait une faille entière, médecin de famille compris ; s’il avait le malheur d’être de la fête ce jour-là.
Mais cette prise de risque professionnelle faisait partie des choses de la vie : repas trop lourds, empoisonnements au bacille botulique ou à l’excès de sulfite d’un Chablis ou d’un gewürztraminer, étaient souvent le prix à payer pour tout médecin de famille qui se respectait. Car c’est au cours de ces repas qu’il pouvait voir si “la cadette” qu’il avait aidée à naître six ans auparavant, avait une petite mine, ou si l’épouse, dont il connaissait la vie intime comme un roman de Flaubert, se portait bien et si le mari soignait sa tension… Tout ce joli monde se retrouvait les semaines suivantes dans son cabinet. Et le médecin soignait, encourageait, mettait à jour ses notes sur le parcours médical de chacun, décelait les premières attaques de la maladie dans les corps qu’il auscultait avec l’attention et la précision du mécanicien qui réglait le carburateur de sa Hotchkiss ou de sa Panhard grand sport…
Quand il ne pouvait identifier ce qu’il ressentait au bout de ses doigts ou entendait au stéthoscope, il faisait appel à un “Cher Confrère”. Un professeur de renom de la Faculté, un prestigieux chef de service à l’Hôpital…
La médecine n’était pas très difficile si l’on aimait les gens, pour peu qu’on ait une bonne mémoire. Elle n’était pas très efficace, non plus. Mais elle sauvait – et pas seulement les corps – à coups de tisanes, de longs repos, de bon air et du produit de quelques fioles qu’on trouvait aussi, assez souvent, dans la cuisine…
L’objet ici n’est pas de regretter cette époque où il y avait encore des cuisinières à passer suffisamment de temps pour faire un saint-honoré et où l’on payait son médecin une fois l’an, quand il pensait à vous envoyer sa note d’honoraires. Et bien que cette vision un peu trop idyllique ne fut pas nécessairement la règle, l’usage voulait que le médecin de famille, celui du dispensaire, ou celui du quartier, du village… par ses incessantes visites, par le temps qu’il prenait pour établir un diagnostic, constituait souvent la mémoire vivante et ambulante, de la vie d’un homme, qu’il accompagnait dans ses épreuves, souvent jusqu’à sa dernière demeure. Le médecin était un dossier médical qui mangeait, rotait, se fâchait, calmait, conseillait… et – c’était un espoir - sauvait, lorsque c’était en son pouvoir.
Aujourd’hui, la médecine, sous nos latitudes, ne se pratique plus comme cela ; et les risques professionnels sont autrement plus sérieux que le risque d’un empoisonnement au saint-honoré. La science plus précise, même si elle est fragmentaire, est plus efficace. On n’appelle plus – ou rarement – le ponte du service prestigieux de la Salpetrière ou de Cochin, mais on envoie au “Cher Ami” (dont on a trouvé le nom dans l’annuaire) le malade qui se trouve souvent par hasard à sa consultation, faute d’avoir pu trouver chez d’autres médecins, les soins qu’il exige de la Sécurité sociale. On soigne mieux, même s’il arrive, de plus en plus fréquemment, que le traitement tue avant la maladie… Les années 1970 ont marqué, dans les pays industrialisés, l’influence des actions politiques volontaires contre la mort, aussi bien pour le grand âge que pour la petite enfance. C’est le vrai début de l’élaboration de règles de surveillance périnatale pour l’amélioration des conditions d’accouchement. On s’essaie aussi à la réanimation des nouveau-nés en salle de travail et à la création de centres de réanimation néonatale. Vaccination, révision de la législation du travail suivent, en même temps que l’on dégage 60 millions de francs pour la formation du personnel et la rénovation des établissements publics d’accouchement. Les décrets des 21 février 1972 et du 7 août 1975 ont pour conséquence immédiate la fermeture de 325 petites maternités, publiques et privées confondues… Viendront les autres lois de réforme hospitalière de 1990-91, du 4 mars 2002, ainsi que les ordonnances du Plan Juppé, qui ont donné l’élan aux nouvelles structures de soins : Agence régionale d’hospitalisation (ARH) (bientôt, Agences régionales de Santé (ARS)), départements au lieu de services hospitaliers, gouvernance à la place de direction, tarification à l’activité (T2A), plutôt que comptabilité, projet de médicalisation des systèmes de santé (PMSI) en lieu de gestion, et autres acronymes recouvrant des pratiques parallèles, des tutelles, souvent redondantes… Au hasard : CNAMTS, CRAM, CNOSS, ACOSS, URCAM, CPAM, SIS, DIM, SIH, UCANSS, AMELI, CEPTE et TEE, devenant TESE, Afssaps, HAS (Ha ! ah !), CREM…
Vous avez dit CREM ? Avec le saint-honoré relégué au rang des accessoires inutiles, reste à trouver une façon pour le médecin de se repérer dans cette jungle où il guide son patient (somme toute, son fonds de commerce), cerné qu’il est pas les empêcheurs de soigner en rond et autres organismes de tutelle. Et l’on ne parle pas des progrès médicaux (2000 publications par mois) qui assaillent sa pratique, mais qui ne l’aident pas dans sa lutte contre les feux de fesses, les divers patraqueries des malades illuminés ou graves ; et les arrêts maladie ou LE Scanner – c’est bien le moins - que tout assuré social revendique comme un droit inaliénable. Dame ! c’est que le droit à la Santé est inscrit au protocole de notre constitution…
La médecine est devenue un travail d’équipe ; des réseaux de Chers Amis qui ne se connaissent pas et se respectent à peine quand ils ne se jalousent pas.
Nouvelle époque, nouveau paradigme, la bienveillante Tutelle entend, grâce aux progrès de l’informatique établir une nouvelle façon de pratiquer la médecine dont le prototype s’appelle : Dossier médical personnel (DMP). C’est-à-dire, un bidule qui réduit l’expérience de feu le médecin de famille à la taille d’une puce ou d’une clef USB… Plus fiable, parce qu’éternellement jeune et disposant de capacités de mémoire inégalées et des possibilités de synthèses supérieures à nous, simples mortels… enfin, pour ce dernier point, on espère !…
Et c’est ainsi que l’Office parlementaire d’Evaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), s’est réuni en audience publique, la semaine dernière, sous la présidence de Monsieur Pierre Lasbordes, député de l’Essonne, pour faire le point sur cet outil qui bénéficie d’un soudain retour d’amour de la part de la Tutelle.
Il fallut notamment résoudre le problème que posait l’identité du « P » de DMP : Car « P » veut-il vraiment dire : « personnel », c’est-à-dire propre au patient – et donc, en quels termes : juridiques, administratifs, médicaux ?…. Ou est-ce aussi le « P » de partager, (les données médicales, par exemples) et subséquemment, selon quels critères nosographiques ? Ou est-ce le « P » de professionnel : mais alors, quelle profession tiendra la dragée haute à toutes celles que créent annuellement la science médicale, la chimie, l’industrie et l'intarissable imagination politique et syndicale ?
On se quitta sans y répondre ; même si du point de vue philosophique, “personnel” fut retenu, vu les moult séances à l’Assemblée nationale qui furent nécessaires à son choix.
Reste que le GIP, bientôt le ZIP DMP, bien que ballotté entre les ministres se succédant à la Santé, entre législatives, municipales, européennes, ou régionales… fonctionne - chose étonnante, en cette période de crise – à fonds perdus. Son objet médical interdit que l’on parle de retours sur investissements autres que l’amélioration de la qualité des soins. Le seul progrès indubitable – et ce, malgré des expériences régionales intéressante - c’est qu’au bout des quelques dix années qui nous séparent des premiers balbutiements du plan stratégique de Gilles Johanet, directeur de la CNAMTS (1989-1993/1998-2002), et qui s’inspirait notamment du projet avorté de Jacques Barrot, en 1996, du Carnet de santé, c’est d’être enfin arrivé à définir un identifiant pour chaque malade. (Merci la CNIL !) Il s’agit d’un numéro (NIS)… aléatoire.
Et pas le moindre gâteau sec pour agrémenter les discussions…