mardi 5 mai 2009

Saint-Honoré

Souvent, le dimanche, le médecin de famille venait déjeuner avec nous. C’était surtout l’été. Et sa visite signait, en quelque sorte, le début des grandes vacances. Nous, les enfants, avions le droit de sortir de table plus tôt, non sans en avoir demandé la permission aux parents et au “gentil” docteur. Et nous revenions pour le dessert qui était souvent un saint-honoré. Ah ! ces saint-honoré des repas dominicaux. Combien d’ailleurs ne furent-il pas le cas d’indigestions, de crise de foie nous envoyant droit au lit avec une tisane en sautant le souper…
C’est qu’à l’époque, on montait la chantilly avec du blanc d’œuf. Et le frigidaire n’ayant pas encore remplacé la glacière, le risque d’empoisonnement botulique n’était pas exclu pour peu que l’on attendît un peu de consommer ce roi des desserts. Un empoisonnement qui parfois décimait une faille entière, médecin de famille compris ; s’il avait le malheur d’être de la fête ce jour-là.
Mais cette prise de risque professionnelle faisait partie des choses de la vie : repas trop lourds, empoisonnements au bacille botulique ou à l’excès de sulfite d’un Chablis ou d’un gewürztraminer, étaient souvent le prix à payer pour tout médecin de famille qui se respectait. Car c’est au cours de ces repas qu’il pouvait voir si “la cadette” qu’il avait aidée à naître six ans auparavant, avait une petite mine, ou si l’épouse, dont il connaissait la vie intime comme un roman de Flaubert, se portait bien et si le mari soignait sa tension… Tout ce joli monde se retrouvait les semaines suivantes dans son cabinet. Et le médecin soignait, encourageait, mettait à jour ses notes sur le parcours médical de chacun, décelait les premières attaques de la maladie dans les corps qu’il auscultait avec l’attention et la précision du mécanicien qui réglait le carburateur de sa Hotchkiss ou de sa Panhard grand sport…
Quand il ne pouvait identifier ce qu’il ressentait au bout de ses doigts ou entendait au stéthoscope, il faisait appel à un “Cher Confrère”. Un professeur de renom de la Faculté, un prestigieux chef de service à l’Hôpital…
La médecine n’était pas très difficile si l’on aimait les gens, pour peu qu’on ait une bonne mémoire. Elle n’était pas très efficace, non plus. Mais elle sauvait – et pas seulement les corps – à coups de tisanes, de longs repos, de bon air et du produit de quelques fioles qu’on trouvait aussi, assez souvent, dans la cuisine…
L’objet ici n’est pas de regretter cette époque où il y avait encore des cuisinières à passer suffisamment de temps pour faire un saint-honoré et où l’on payait son médecin une fois l’an, quand il pensait à vous envoyer sa note d’honoraires. Et bien que cette vision un peu trop idyllique ne fut pas nécessairement la règle, l’usage voulait que le médecin de famille, celui du dispensaire, ou celui du quartier, du village… par ses incessantes visites, par le temps qu’il prenait pour établir un diagnostic, constituait souvent la mémoire vivante et ambulante, de la vie d’un homme, qu’il accompagnait dans ses épreuves, souvent jusqu’à sa dernière demeure. Le médecin était un dossier médical qui mangeait, rotait, se fâchait, calmait, conseillait… et – c’était un espoir - sauvait, lorsque c’était en son pouvoir.
Aujourd’hui, la médecine, sous nos latitudes, ne se pratique plus comme cela ; et les risques professionnels sont autrement plus sérieux que le risque d’un empoisonnement au saint-honoré. La science plus précise, même si elle est fragmentaire, est plus efficace. On n’appelle plus – ou rarement – le ponte du service prestigieux de la Salpetrière ou de Cochin, mais on envoie au “Cher Ami” (dont on a trouvé le nom dans l’annuaire) le malade qui se trouve souvent par hasard à sa consultation, faute d’avoir pu trouver chez d’autres médecins, les soins qu’il exige de la Sécurité sociale. On soigne mieux, même s’il arrive, de plus en plus fréquemment, que le traitement tue avant la maladie… Les années 1970 ont marqué, dans les pays industrialisés, l’influence des actions politiques volontaires contre la mort, aussi bien pour le grand âge que pour la petite enfance. C’est le vrai début de l’élaboration de règles de surveillance périnatale pour l’amélioration des conditions d’accouchement. On s’essaie aussi à la réanimation des nouveau-nés en salle de travail et à la création de centres de réanimation néonatale. Vaccination, révision de la législation du travail suivent, en même temps que l’on dégage 60 millions de francs pour la formation du personnel et la rénovation des établissements publics d’accouchement. Les décrets des 21 février 1972 et du 7 août 1975 ont pour conséquence immédiate la fermeture de 325 petites maternités, publiques et privées confondues… Viendront les autres lois de réforme hospitalière de 1990-91, du 4 mars 2002, ainsi que les ordonnances du Plan Juppé, qui ont donné l’élan aux nouvelles structures de soins : Agence régionale d’hospitalisation (ARH) (bientôt, Agences régionales de Santé (ARS)), départements au lieu de services hospitaliers, gouvernance à la place de direction, tarification à l’activité (T2A), plutôt que comptabilité, projet de médicalisation des systèmes de santé (PMSI) en lieu de gestion, et autres acronymes recouvrant des pratiques parallèles, des tutelles, souvent redondantes… Au hasard : CNAMTS, CRAM, CNOSS, ACOSS, URCAM, CPAM, SIS, DIM, SIH, UCANSS, AMELI, CEPTE et TEE, devenant TESE, Afssaps, HAS (Ha ! ah !), CREM…
Vous avez dit CREM ? Avec le saint-honoré relégué au rang des accessoires inutiles, reste à trouver une façon pour le médecin de se repérer dans cette jungle où il guide son patient (somme toute, son fonds de commerce), cerné qu’il est pas les empêcheurs de soigner en rond et autres organismes de tutelle. Et l’on ne parle pas des progrès médicaux (2000 publications par mois) qui assaillent sa pratique, mais qui ne l’aident pas dans sa lutte contre les feux de fesses, les divers patraqueries des malades illuminés ou graves ; et les arrêts maladie ou LE Scanner – c’est bien le moins - que tout assuré social revendique comme un droit inaliénable. Dame ! c’est que le droit à la Santé est inscrit au protocole de notre constitution…
La médecine est devenue un travail d’équipe ; des réseaux de Chers Amis qui ne se connaissent pas et se respectent à peine quand ils ne se jalousent pas.
Nouvelle époque, nouveau paradigme, la bienveillante Tutelle entend, grâce aux progrès de l’informatique établir une nouvelle façon de pratiquer la médecine dont le prototype s’appelle : Dossier médical personnel (DMP). C’est-à-dire, un bidule qui réduit l’expérience de feu le médecin de famille à la taille d’une puce ou d’une clef USB… Plus fiable, parce qu’éternellement jeune et disposant de capacités de mémoire inégalées et des possibilités de synthèses supérieures à nous, simples mortels… enfin, pour ce dernier point, on espère !…
Et c’est ainsi que l’Office parlementaire d’Evaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), s’est réuni en audience publique, la semaine dernière, sous la présidence de Monsieur Pierre Lasbordes, député de l’Essonne, pour faire le point sur cet outil qui bénéficie d’un soudain retour d’amour de la part de la Tutelle.
Il fallut notamment résoudre le problème que posait l’identité du « P » de DMP : Car « P » veut-il vraiment dire : « personnel », c’est-à-dire propre au patient – et donc, en quels termes : juridiques, administratifs, médicaux ?…. Ou est-ce aussi le « P » de partager, (les données médicales, par exemples) et subséquemment, selon quels critères nosographiques ? Ou est-ce le « P » de professionnel : mais alors, quelle profession tiendra la dragée haute à toutes celles que créent annuellement la science médicale, la chimie, l’industrie et l'intarissable imagination politique et syndicale ?
On se quitta sans y répondre ; même si du point de vue philosophique, “personnel” fut retenu, vu les moult séances à l’Assemblée nationale qui furent nécessaires à son choix.
Reste que le GIP, bientôt le ZIP DMP, bien que ballotté entre les ministres se succédant à la Santé, entre législatives, municipales, européennes, ou régionales… fonctionne - chose étonnante, en cette période de crise – à fonds perdus. Son objet médical interdit que l’on parle de retours sur investissements autres que l’amélioration de la qualité des soins. Le seul progrès indubitable – et ce, malgré des expériences régionales intéressante - c’est qu’au bout des quelques dix années qui nous séparent des premiers balbutiements du plan stratégique de Gilles Johanet, directeur de la CNAMTS (1989-1993/1998-2002), et qui s’inspirait notamment du projet avorté de Jacques Barrot, en 1996, du Carnet de santé, c’est d’être enfin arrivé à définir un identifiant pour chaque malade. (Merci la CNIL !) Il s’agit d’un numéro (NIS)… aléatoire.
Et pas le moindre gâteau sec pour agrémenter les discussions…

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